Cela peut sembler exagéré, mais les grands changements Européens ont la mauvaise habitude de générer des impacts profondément négatifs en Afrique. Ayant été témoin de la manière dont la vie des populations à l’intérieur du Congo a été retournée par la Seconde Guerre mondiale, le Belge colonialiste Vladimir Drachoussoff écrivait: “L’affaiblissement de l’Europe ne peut que susciter des forces centrifuges.”
Quels genres de forces centrifuges seront activés par un mouvement européen vers plus d’isolationnisme? Comment les répercussions économiques du Brexit impacteront-elles le financement de la santé mondiale? Et qu’en est-il du sentiment anti-étranger aux États- Unis? Ces tendances pourraient-elles ralentir ou même faire dérailler l’un des plus importants succès de l’Afrique, à savoir l’élimination de l’une des plus anciennes et des plus mortelles maladies au monde?
Mon fils, Alexandre, avait un an quand nous avons quitté la France pour le Sénégal, où je dirige les activités de l’ONG PATH. Ma famille n’ayant jamais vécu dans un pays où le paludisme est un problème avant, j’étais inquiet sur la meilleure façon de protéger Alexandre, ainsi que nos deux autres enfants plus âgés.
Après de longues discussions, nous avons décidé de ne pas prendre de traitement prophylactique dont les effets secondaires sont problématiques à long terme. Au lieu de cela, nous suivons les recommandations du Programme national de lutte contre le Paludisme au Sénégal: c’est à dire dormir sous une moustiquaire imprégnée à longue durée d’action et de faire un test de paludisme aux premiers signes de fièvre.
Il a été difficile de prendre une telle décision pour notre jeune fils, car parmi les 438.000 décès liés au paludisme l’année dernière, 70 pour cent étaient des enfants de moins de cinq ans.
Mais après cinq ans dans ce beau pays, aucun de nous n’a été infecté.
Nous ne sommes pas des cas isolés
Aujourd’hui, la majorité des familles sénégalaises sont protégées contre la maladie, et la partie Nord du Pays est presque exempte de paludisme. Avec des ressources suffisantes, le Sénégal pourrait devenir l’un des premiers pays d’Afrique subsaharienne à éliminer la maladie.
Au cours de la dernière décennie, le Sénégal a réduit la mortalité infantile liée au paludisme de plus de moitié. Cette réalisation remarquable est le résultat d’un leadership national fort, du soutien des bailleurs de fonds, et du travail acharné sur les lignes de front par les médecins, les infirmières, les travailleurs de la santé communautaire, et des organisations de la société civile. J’ai eu l’occasion de travailler en étroite collaboration avec un grand nombre d’entre eux, et je peux témoigner de leur dévouement extraordinaire alors même qu’ils travaillent souvent dans des conditions très difficiles.
Des progrès remarquables qui pourraient être perdus
Le Docteur Algaye Ngom, qui dirige l’effort dans le district nord de Richard-Toll, a prouvé que l’approche adoptée par le Sénégal peut permettre d’obtenir des résultats exceptionnels. Face au scepticisme initial du personnel de santé, Dr Ngom, à force de patience de détermination et de gentillesse a su convaincre. Sa patience a payé: la plupart des familles de son district dorment désormais sous des moustiquaires et se font tester si elles présentent des symptômes. Et une réaction rapide du personnel de santé permet de contenir les cas et d’éviter la propagation de la maladie.
L’an dernier, le district Richard-Toll n’a recensé que 317 cas de paludisme et aucun décès – il y a 10 ans, Richard-Toll comptait environ 14 000 cas annuels.
L’approche que le Dr Ngom et son équipe ont développée est maintenant un modèle pour d’autres districts. Et il n’y a pas de temps à perdre. Les trois quarts des cas de paludisme à Richard-Toll sont importés par les travailleurs saisonniers provenant d’autres régions du pays. Richard-Toll pourrait être sur le point de devenir une zone sans paludisme, mais pour mettre fin à la menace, le Sénégal doit poursuivre la marche vers l’élimination du paludisme dans la partie Sud-Est du Pays.
Dans certains districts, près de la moitié de la population souffre encore de la maladie chaque année. Ainsi, le Programme National de Lutte contre le Paludisme distribue cette année plus de 8 millions de moustiquaires pour veiller à ce que tous les Sénégalais soient protégés pendant leur sommeil. D’autre part, un système de surveillance du paludisme est déployé pour permettre aux autorités de santé d’avoir des informations en temps quasi réel ce qui leur permet de suivre et de réagir rapidement lors de flambées palustres.
Pour éliminer le paludisme, nous avons besoin de soutien
A travers le Sénégal, l’ensemble de la population est mobilisée pour soutenir la lutte contre le paludisme et parvenir à son élimination. La campagne Zéro Palu, Je m’Engage mobilise les populations grâce au soutien de stars du football, de parlementaires et de musiciens de renommée mondiale tels que Youssou N’Dour. Les champions communautaires informent leurs voisins sur les moyens de prévenir la maladie et sur le fait que le diagnostic et le traitement du paludisme sont gratuits.
Senegal utilise des approches innovantes pour faire passer les message de prévention du paludisme, comme par exemple des vidéos clips et séries TV, telles q que celle présentée ci-dessus (sous-titres en Français). Video: Zero Malaria.
Le Sénégal tente également d’accroitre son financement domestique, notamment en engageant le secteur privé dans des partenariats innovants et en explorant de nouveaux mécanismes de financement. Par exemple, chacun peut maintenant faire un don pour combattre le paludisme quand il fait un transfert d’argent par le biais d’une application populaire de paiement mobile.
Cependant pour éliminer le paludisme au Sénégal et dans les autres pays, le soutien financier extérieur doit augmenter. L’histoire a montré que si nous réduisons nos efforts, le paludisme resurgira, anéantissant ainsi les progrès que nous avons mis des années à atteindre.
Le soutien financier de l ‘Europe et des États-Unis est essentiel dans cet effort.
En Septembre, les donateurs se réuniront au Canada pour s’engager sur la nouvelle tranche de financement du Fonds Mondial pour la lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme. Je suis heureux que mon Pays d’origine—la France—ait annoncé qu’il contribuera à hauteur de 1,08 milliard € (1,19 milliard US $). Je ne peux qu’espérer que d’autres dirigeants feront preuve du même engagement stratégique et visionnaire, malgré les incertitudes créées par le Brexit.
Nous ne pouvons pas permettre aux forces nationalistes d’amortir la perspective, très réelle, d’un monde sans paludisme. L’Afrique est victime du paludisme depuis des milliers d’années, mais aujourd’hui, je peux regarder mon fils Alexandre âgé de 6 ans maintenant, jouer avec ses amis Sénégalais et savoir que nous avons les moyens de les protéger eux et tous les enfants d’Afrique si la communauté internationale nous soutien.